Revue d’histoire intellectuelle

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Bastien CABOT, Elena DAVIGO, Du "compromis réparateur" au refus de la "monétisation de la santé"

Mouvement ouvrier et environnement de travail en Italie (1880-1980)

mercredi 10 janvier 2024

RESUME
Dans la plupart des pays d’Europe occidentale vers 1900, la réparation des risques professionnels passe par l’indemnisation des dommages. En Italie, celle-ci est entérinée par la loi du 17 mars 1898. Cet article pose la question du consentement de la classe ouvrière à cette logique de « monétisation de la santé », en examinant notamment le rapport du mouvement ouvrier à la santé professionnelle et au monde médical, des années 1880 aux années 1980. Trois temps apparaissent alors. Le premier concerne précisément le « moment mil neuf cent », caractérisé par l’émergence d’une réflexivité ouvrière face aux risques et la tentative d’une frange progressiste du monde médical de se rapprocher de la classe ouvrière. L’entrée de l’Italie dans les deux décennies fascistes, même si elles voient la reconnaissance des maladies professionnelles en 1929, met un frein à ce processus de rapprochement. Puis, lors de la reconstruction et des années du « miracle économique », les syndicats renouent largement avec le principe d’indemnisation établi par la loi de 1898, dans une logique de contractualisation des rapports sociaux. Ce n’est cependant qu’à partir des années 1968-1969, dans un contexte de fortes mobilisations sociales, que le principe de « monétisation de la santé » est fondamentalement remis en cause, et que se multiplient les expériences de coproduction des savoirs sanitaires et environnementaux au sein de l’usine mais aussi sur le territoire. En dépit de ses limites, la réforme sanitaire de 1978 constitue l’aboutissement institutionnel de cette mobilisation décennale.
ABSTRACT
From “a remedial compromise” to a refusal to “monetise healthcare” – Italy’s working class and working conditions (1880-1980).
In Italy, as in most Western European countries around nineteen hundred, compensation for occupational risks was based on the law of 17 March 1898. This article therefore raises the question of the working class’s consent to this logic of “monetising health”, by examining in particular the relationship between the labour movement and occupational health and the medical world, from the 1880s to the 1980s. Three periods emerge. The first concerns the “nineteen hundred moment”, characterised by the emergence of a working-class reflexivity in the face of risks, and the attempt by a progressive fringe of the medical world to draw closer to the working class. Italy’s entry into the twenty years of Fascism, even though it saw the recognition of occupational diseases in 1929, nevertheless put the brakes on this process of rapprochement. Then, during reconstruction and the years of the “economic miracle”, the trade unions largely returned to the principle of compensation established by the 1898 law, with a view to contractualising social relations. However, it wasn’t until 1968-1969, against a backdrop of strong social mobilizations, that the principle of “monetising health” was fundamentally called into question, and that the coproduction of medical and environmental knowledge within the plant but also across the territory. Despite its limits, the 1978 healthcare reform embodies the institutional culmination of a decade-long mobilization.