Revue d’histoire intellectuelle

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Vincent Duclert, Rémi Fabre, Patrick Fridenson (eds.), Avenirs et avant-gardes en France. XIXe-XXe siècles. Hommage à Madeleine Rebérioux

vendredi 25 septembre 2015

Vincent Duclert, Rémi Fabre, Patrick Fridenson (eds.), Avenirs et avant-gardes en France. XIXe-XXe siècles. Hommage à Madeleine Rebérioux
Paris, La Découverte, coll. "Textes à l’appui/Histoire contemporaine", 1999, 438 p.

GERVASONI (Marco)

En proposant cet hommage collectif à Madeleine Rebérioux, les auteurs entendent tout autant défendre une certaine idée de l’histoire et de son usage social qui réhabilite les notions de choix et d’engagement, que tracer le portrait d’une historienne « dont les travaux, dont les engagements, permettent précisément de pouvoir approcher cette histoire des avenirs et des avant-gardes, cette histoire des hommes et des idées qui ont voulu donner une forme humaine au futur ».
En effet pour tous ceux qui, au début des années quatre-vingt-dix, souhaitaient s’intéresser à l’histoire de la France contemporaine et du socialisme français en particulier, le nom de Madeleine Rebérioux était sans conteste le premier auquel se référer. Nombreuses étaient les raisons pour ce faire, mais la première d’entre elles était, sans nul doute, cette capacité rare qu’a Madeleine Rebérioux de proposer des textes denses et riches en problématiques qui demeurent compréhensibles et accessibles aux chercheurs débutants. Ils furent ainsi nombreux à se laisser emporter par ce style remarquable, vivant et passionnant qui crée une véritable empathie entre le lecteur et les problèmes de l’époque traitée.
Sans que jamais elle se renie, Madeleine Rebérioux a su déplacer ses centres d’intérêts au fil du temps, de l’histoire sociale et du mouvement ouvrier à l’histoire culturelle. Pour autant ses objets d’études n’ont pas à proprement parler changé. Les socialistes, les intellectuels, les femmes demeurent au cœur de ses préoccupations mais sa manière de les regarder a su évoluer. Bien qu’il ne l’affiche pas explicitement, ce volume d’hommages à Madeleine Rebérioux rend particulièrement compte de ce passage. La plupart des articles qui y sont publiés sont consacrés aux intellectuels, aux phénomènes artistiques et aux cultures de masse. Même lorsque l’on s’attache à des objets considérés comme relevant classiquement de l’histoire sociale, les diverses contributions tentent ici plutôt de comprendre les représentations véhiculées par les acteurs historiques.
Comme il est souvent d’usage dans les volumes d’hommage, les auteurs sont tout autant des élèves de l’historienne que ses collègues, amis et compagnons de route dans ses multiples activités intellectuelles et politiques. Parmi eux on retiendra Pierre Vidal-Naquet et Béatrice Slama qui nous brossent le vivant portrait de Madeleine Rebérioux, historienne et citoyenne, intellectuelle de gauche engagée contre la guerre d’Algérie, contre le colonialisme, pour la cause des femmes... Sans doute aussi parce que, par notre formation et nos propres recherches, nous sommes attachés à cette manière d’écrire l’histoire, les articles qui, dans cet hommage, nous ont paru les plus novateurs – avec tout ce que cet éclairage suppose de subjectivité – portent sur « le travail de la culture », avec en particulier des contributions de Christophe Prochasson (« Paris 1900. Quand la culture construit l’espace »), Gilles Candar (« Socialistes et littérature. La critique littéraire dans la Nouvelle revue socialiste »), Philippe Gumplowicz (« La cause du jazz. Naissance d’une passion Paris 1930-1934 ») et Marie-Claude Genet-Delacroix (« Académisme et avant-garde dans la peinture française au XIXe siècle »). Mais une large partie de cet ouvrage est également consacrée à l’histoire des femmes, en politique (Nicole Savy), dans l’enseignement (Christophe Charle), etc. De manière incidente, on remarquera que la partie la plus réduite de ces développements porte sur « l’enjeu du travail », avec des contributions, entre autres, de Gérard Noiriel et Patrick Fridenson : serait-ce, dans le choix des articles proposés, le signe de cette réorientation des travaux de Madeleine Rebérioux vers l’histoire culturelle ?
La dernière partie de l’ouvrage s’arrête sur les engagements politiques, socialistes et communistes, avec des articles très spécialisés – parfois trop peut-être pour un public qui n’est pas nécessairement au fait de ces sujets – qui ont le grand mérite de combler des vides historiographiques patents. Parmi eux Vincent Duclert s’intéresse ainsi à « Jaurès et la troisième affaire Dreyfus (1900-1906) », Gérard Baal aux « Jeunes radicaux (1900-1914) » et Marie-Louise Goergen aux « Correspondants de presse : un pont entre socialismes allemand et français à la fin du XIXe siècle ».
Cet hommage s’achève par un véritable bijou qui ne pourra que rendre heureux les historiens de la France contemporaine : une bibliographie des travaux de Madeleine Rebérioux de 1945 à 1999, établie par Vincent Duclert et Gilles Candar. Mettant en évidence des tournants et des postures décisifs, comme la naissance de la Société d’études jaurésiennes en 1959-1960, la fondation de l’Université de Vincennes, la création du musée d’Orsay ou la présidence de la Ligue des droits de l’homme, cette bibliographie rend compte fort justement de la manière dont Madeleine Rebérioux aborde l’écriture de l’histoire. Préférant l’essai, l’article ou la préface, l’historienne fait preuve d’une remarquable originalité dans une tradition historiographique française qui s’est toujours plus intéressée aux thèses touffues qu’aux interventions brèves et poignantes.


Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 17, 1999 : Intellectuels dans la République, p. 175-177.
Auteur(s) : GERVASONI (Marco)
Titre : Vincent Duclert, Rémi Fabre, Patrick Fridenson (eds.), Avenirs et avant-gardes en France. XIXe-XXe siècles. Hommage à Madeleine Rebérioux : Paris, La Découverte, coll. "Textes à l’appui/Histoire contemporaine", 1999, 438 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article61