Revue d’histoire intellectuelle

Accueil > Sommaires > N° 17, 1999 Intellectuels dans la République > Geneviève Fraisse, Les femmes et leur histoire

Geneviève Fraisse, Les femmes et leur histoire

vendredi 25 septembre 2015

Geneviève Fraisse, Les femmes et leur histoire
Paris, Gallimard, coll. "Folio histoire", 1998, 614 p.

CARDUNER-LOOSFELD (Muriel)

Alors que dans notre actualité, le terme de féminisme ou de féministe recouvre tout et rien tant il est galvaudé, « récupéré » par les médias, la mode, le « politiquement correct », Geneviève Fraisse nous livre une réflexion si savante, si serrée dans son argumentation qu’elle nous impose de reconsidérer le terme : c’est-à-dire de penser la différence des sexes dans son historicité.
Il y a, dans cet ouvrage, une volonté affichée de rendre intelligible le mouvement féministe et l’émancipation qui le sous-tend, de le sortir de cette nébuleuse des affects accolée à son image ; l’hystérie, la passion, le désordre, pour au contraire l’inscrire dans un engagement raisonné au travers des moments de l’histoire, ses ruptures, ses inflexions, ses tournants, bref un engagement qui prend sa place dans un espace politique.
Une fois rejeté le concept de nature, le « biologique », qui aurait définitivement scellé le destin des femmes, « La femme est un être historique : l’affirmation est moins banale qu’il n’y paraît quand on voit le poids de son image comme être naturel pris d’abord et fondamentalement, dans le renouvellement de l’espèce. », l’auteur entreprend de nous présenter une histoire de la pensée de l’égalité des sexes. De Poullain de la Barre, l’un des précurseurs, à nos jours, l’auteur analyse comment des philosophes, des écrivains, des hommes politiques ont pensé la différence des sexes. Si la Révolution française marque une rupture historique dans l’histoire des femmes, « La rupture révolutionnaire n’entraîne pas immédiatement la naissance du féminisme, elle en donne cependant la possibilité », il convient d’en mesurer ses bénéfices et ses perversions. Les femmes ayant manifestement pris une place « trop » importante dans la vie publique à la fin de la royauté et dans la vie révolutionnaire, la réaction se traduit par son exclusion de la société civile au début du XIXe siècle, le code civil napoléonien en marque l’une des expressions les plus radicales.
De façon plus subtile, « l’égalité [entre les sexes] menacerait de produire de l’identique », la peur d’une dérive vers la confusion identitaire des sexes entraîne une affirmation de plus en plus explicite d’en souligner la différence. Ainsi donc, est dévolue « naturellement » aux hommes la sphère publique et aux femmes la sphère privée. La démocratie dans son expression ne dénie pas catégoriquement aux femmes le droit à l’égalité, elle l’ignore.
Plusieurs portraits de femmes célèbres et remarquables par leur indépendance de pensée et de vie émaillent l’étude de l’auteur ; égéries, symboles d’une autonomie revendiquée haut et fort, auréolées par la place exceptionnelle qu’elles ont conquise dans la société, leur combat, même si il sert, sans conteste, la lutte pour l’émancipation, demeure parfois ancré dans un individualisme certain, ou bien sans lien avec les féministes des groupes militants, les « sans-nom ».
Cet ouvrage démonte, de façon très éclairante, grâce à la richesse de ses références et de l’analyse toujours délimitée dans une historicité précise, la logique des mécanismes d’exclusion qui ont présidé à l’éviction des femmes de la vie politique. Si Geneviève Fraisse montre bien que l’idée de parité ne peut être fondée philosophiquement, elle relève cependant, de par sa désignation en termes de loi, de l’universalisme démocratique et de par sa volonté de désigner visiblement les deux sexes, de la tradition utopiste et révolutionnaire qui, « depuis Fourier et les saint-simoniens, pense l’humanité dans sa réalité sexuée ».
Si Les femmes et leur histoire permet de relire l’histoire à la lumière d’un questionnement au féminin, il permet aussi de mieux comprendre, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, les luttes actuelles des femmes pour accéder au pouvoir politique.


Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 17, 1999 : Intellectuels dans la République, p. 178-179.
Auteur(s) : CARDUNER-LOOSFELD (Muriel)
Titre : Geneviève Fraisse, Les femmes et leur histoire : Paris, Gallimard, coll. "Folio histoire", 1998, 614 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article62