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Christophe Prochasson, Paris 1900. Essai d’histoire culturelle
vendredi 25 septembre 2015
Lectures
Christophe Prochasson, Paris 1900. Essai d’histoire culturelle
Paris, Calmann-Lévy, 1999, 348 p.
VENAYRE (Sylvain)
Existe-t-il un autre Paris qu’imaginaire ? C’est fort de ce doute que Christophe Prochasson a envisagé l’étude de la capitale française au tournant des XIXe et XXe siècles — une période dont il est un spécialiste reconnu. Le sujet, certes, avait déjà fait l’objet de multiples travaux qui, du reste, de Walter Benjamin à Christophe Charle, constituent une érudition pleinement maîtrisée par l’auteur. Il n’empêche que celui-ci entend « rouvrir le dossier », en reprenant la question d’un point de vue ontologique : qu’est-ce que « Paris 1900 » ?
L’ouvrage se veut explicitement un essai. Il en a donc la forme : celui d’une promenade érudite et littéraire, souvent écrite à la première personne du singulier. Il en a également la méthode. L’auteur convoque ainsi à l’appui de sa réflexion de nombreux paradigmes, d’apparences souvent contradictoires, dont il jauge la pertinence pour ce qui est de « l’histoire culturelle » de Paris en 1900. L’histoire des représentations, celle des sociabilités, la sociologie bourdieusienne, le new historicism, une approche renouvelée de l’histoire de la littérature sont ainsi successivement, et parfois simultanément, mis à contribution.
Varié dans ses questionnements, attentif à multiplier les objets d’étude (de l’Exposition Universelle aux succès parisiens d’Edmond Rostand, de la notion de province au système des revues, de l’esthétique décadente à l’Affaire Dreyfus), l’essai s’apparente finalement à une certaine histoire culturelle en vogue outre-Atlantique : une histoire qui additionne les analyses précises d’objets variés et démontre, in fine, l’unité qui les recouvre — l’histoire faite par George Mosse, récemment disparu, celle faite par Herman Lebovics, dont Christophe Prochasson fut d’ailleurs, en France, le « passeur » du livre consacré aux enjeux de l’identité culturelle dans la France des années 1900-1945.
Quelle est, alors, l’unité du Paris « fin de siècle », tel que le donnent à voir les multiples objets étudiés par Christophe Prochasson ? Qu’était-ce, Paris 1900 ?
C’était, d’abord, une représentation de l’espace. « J’ai souhaité travailler sur la notion de représentation autour d’une ville », prévient l’auteur, qui définit ainsi un Paris du discours. Peu importe que ce discours fût d’ordre scientifique ou littéraire : centré sur Paris, il établissait clairement, dans sa plus grande généralité, une définition de la capitale française comme un espace culturel. Paris y était perçue, en 1900, comme la capitale de la culture. La concentration de ses écrivains, artistes et savants était jugée exceptionnelle, tant par rapport à la province méprisée que par rapport à l’étranger (encore que le sentiment de décadence de la fin du XIXe siècle conduisait à redouter la concurrence de Berlin). Écrivains, artistes et savants, considérés comme les acteurs principaux de cette pure représentation qu’était la « vie parisienne », se visitaient d’ailleurs comme des monuments, décrits comme n’importe quels autres monuments de la capitale par cet étonnant guide Paris-Parisien édité pour la première fois en 1896, et dont Christophe Prochasson publie de larges extraits.
C’était, ensuite, une représentation du temps — ou plutôt des représentations contradictoires du temps, la « fin de siècle » se caractérisant par l’exacerbation de la lutte du progrès et de la décadence. Au Paris, « ville-lumière », tout entière éclairée par l’électricité (ainsi qu’en témoignait la lumineuse Exposition), bientôt irriguée par un flot de voitures électriques (!), s’opposait la ville peuplée d’une foule de plus en plus dense, de plus en plus vulgaire, de plus en plus mêlée — où l’art, devenu produit de consommation courante, était de plus en plus plat. Paris 1900, pour le dire comme Christophe Prochasson, manifestait aussi « la conscience sociale du temps ».
C’était enfin une représentation de soi. Car qui définissait Paris comme le lieu de l’élite intellectuelle, jugée tantôt triomphante, tantôt décadente, sinon cette élite intellectuelle elle-même ? Qu’était-ce, donc, que ce Paris 1900 dont la légende est encore si prégnante, sinon la preuve de « l’efficacité sociale » de « la fabrication d’un espace imaginaire », le témoignage de la constitution d’une culture urbaine de l’élite, pour qui la ville pouvait bien représenter une image d’elle-même ? Ici, Christophe Prochasson cesse d’être l’historien des identités culturelles pour devenir, plus classiquement, l’historien des sociabilités intellectuelles : l’analyse des revues, des salons, des conférences, des enquêtes, des jeux complémentaires du succès et de l’échec littéraire, relèvent en effet davantage d’une histoire sociale de la culture, que l’auteur insère sans heurt dans son projet initial de définition de Paris en 1900.
Celui-ci, finalement, est mené à bien, à la suite d’une promenade d’autant plus agréable à suivre que le sujet est passionnant.
Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 18, 2000 : Eugénisme et socialisme, p. 213-215.
Auteur(s) : VENAYRE (Sylvain)
Titre : Christophe Prochasson, Paris 1900. Essai d’histoire culturelle : Paris, Calmann-Lévy, 1999, 348 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article65