Revue d’histoire intellectuelle

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Jules Michelet, Histoire de la Révolution française (par Françoise Mélonio)

Paule Petitier (ed.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2019, 2 vol., 1409 et 1536 p.

dimanche 18 décembre 2022

L’Histoire de la Révolution française avait été publiée dans la « Bibliothèque de la Pléiade » en 1939 par l’historien Gérard Walter. L’essor des études sur Michelet rendait indispensable une refonte complète à la fois de l’établissement du texte et de l’appareil critique. On dispose en effet désormais de la Correspondance générale de Michelet établie par Louis Le Guillou (12 vol., Paris, H. Champion, 1994-2001) ; du Journal de Michelet publié par Paul Viallaneix (Paris, Gallimard, 1959, 1962 et 1976) ; des cours au collège de France de 1838 à 1851 publiés également par Paul Viallaneix (Paris, Gallimard, 1995). Le manuscrit de l’Histoire de la Révolution française ainsi que les sept recueils de notes préparatoires déposés à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris avaient fait ­l’objet en 1988 d’un travail d’équipe dirigé par Paul Viallaneix. Paule Petitier, bien connue pour ses travaux sur Michelet, et qui est le maître d’œuvre de cette nouvelle entreprise, a réuni une équipe de chercheurs éminents en histoire et en littérature (Michel Biard, Philippe Bourdin, Jean-Claude Caron, Aude Déruelle, Hervé Leuwers, Florence Lotterie, Dominique Pety, Claude Rétat, Jean-Marie Roulin, Corinne Saminadayar-Perrin, Judith Wulf) qui nous offrent un modèle d’édition savante.
Les deux volumes permettent d’apprécier l’extraordinaire érudition de Michelet qu’ont souvent occultée son talent dans les formules frappantes et l’audace visionnaire qui lui fait ressusciter le passé. Outre sa connaissance des archives parisiennes, Michelet est l’un des premiers à recourir aux archives provinciales dont le classement était encore embryonnaire : après le coup d’État du 2 Décembre, révoqué du Collège de France le 12 avril puis écarté de son poste aux Archives nationales, il s’installe à Nantes et va faire l’histoire de la Révolution dans l’Ouest avec des sources nouvelles. Cette nouvelle édition met en lumière sa position singulière par rapport à ses prédécesseurs ou ses contemporains, mais aussi par rapport à ses successeurs : les préfaces de 1868-1869 le montrent refusant de stigmatiser 1793, récusant à la fois l’histoire libérale et l’histoire socialiste.
L’histoire de Michelet n’est pas sans partis pris ni oublis volontaires qui ont contribué à son discrédit chez les historiens postérieurs. L’intérêt de cette édition est de montrer comment l’interprétation de la Révolution est inséparable chez lui de l’expérience politique : pour Michelet, il y a concordance des temps entre la révolution et la politique des années 1844-1853. C’est ainsi que le tome consacré à 1791, année de la bascule révolutionnaire selon Michelet, est écrit fin octobre 1848, alors que les journées de juin ont posé dramatiquement la question de la durée de la république chez un peuple sans expérience républicaine. L’inquiétude politique explique la sévérité croissante de Michelet pour les Vendéens qui mettent en péril l’avènement de la liberté, elle éclaire aussi l’orientation socialiste du récit des années 1793-1794, que Michelet rédige après 1852. Pour Michelet, l’échec de la Deuxième République et la dérive de la révolution s’éclairent mutuellement.
Cette histoire de la Révolution a un seul héros : le peuple. « France, guéris des individus », disait Michelet : guérir de Robespierre, des Napoléons… la leçon de la Révolution valait aussi pour le Second Empire. Dans le récit de Michelet, les discours et les parcours individuels comptent peu, bien moins que l’élan collectif lors des moments fondateurs comme la séance du jeu de paume ou la nuit du 4 Août. Les très nombreuses citations de la Bible font de l’histoire de la révolution une histoire sacrée du Peuple. À lire cette édition nouvelle on comprend mieux pourquoi Michelet est bien l’écrivain principal de notre roman national, un roman souvent noir, assombri par les guerres civiles dont Michelet s’obstine à croire que la République y mettra fin.