Revue d’histoire intellectuelle

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Claudine Fontanon, Robert Frank (dir.), Paul Painlevé (1863-1933). Un savant en politique,

vendredi 25 septembre 2015

Lectures

Claudine Fontanon, Robert Frank (dir.), Paul Painlevé (1863-1933). Un savant en politique,
Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Carnot », 2005, 147 p.

RASMUSSEN (Anne)

Si le nom de Paul Painlevé inscrit au fronton de nombre d’écoles et de collèges évoque encore la mémoire de cette illustre figure de la République – les funérailles nationales et les honneurs du Panthéon qui lui furent accordés en 1933 témoignent de la renommée qui fut la sienne dans l’entre-deux-guerres –, nul doute toutefois que le souvenir du personnage, comme de son action, soit désormais bien estompé. Un savant en politique, telle est la formule à laquelle se réduit l’épure. Et peut-être en va-t-il ainsi de la mémoire de ces figures hybrides, que ne revendiquent vraiment ni les communautés savantes, ni les cercles politiques et partisans, et que ne retiennent guère plus leurs historiens. Pour l’histoire intellectuelle de la fin du XXe siècle et des premières décennies du XXe, Paul Painlevé incarne pourtant un cas d’école au sein de ce type social et culturel qui connut alors un âge d’or, le scientifique engagé et militant, épousant la vie publique au nom d’un idéal de raison conjugué à un horizon d’action. De Marcellin Berthelot à Frédéric Joliot, en passant par Émile Borel, Jean Perrin ou Paul Langevin, ces savants ne dissocient pas leur engagement laïc et généralement libre-penseur, leur appartenance à une tradition républicaine de gauche, et la conviction profonde que c’est encore faire de « la Science » que d’entrer dans l’action politique. Il s’agit souvent, au début, d’y mener un combat pour l’avancement de la recherche et de l’éducation ou pour y promouvoir les « applications » des sciences. Ainsi Painlevé, député républicain socialiste depuis 1910, se vit d’abord confier pendant la Grande Guerre la politique des inventions intéressant la défense nationale, et fut nommé ministre de l’Instruction publique en novembre 1915. Ensuite, la vocation à endosser au nom de la science un magistère public, autant que le processus de la professionnalisation des carrières politiques, peuvent conduire ces scientifiques à sortir de leur champ d’expertise pour exercer tous les pouvoirs, au plus haut niveau de responsabilités. À cet exemple, le mathématicien Painlevé, spécialiste de mécanique des fluides, devint ministre de la Guerre en pleine tourmente de 1917, dirigea trois gouvernements (en 1917, puis 1925), assuma d’autres portefeuilles ministériels (le Trésor, l’Air), présida la Chambre des députés et manqua de peu la présidence de la République au temps du Cartel.
C’est ce parcours, scientifique, militant et politique, qu’envisagent les textes issus d’une journée d’étude et présentés dans ce volume par Claudine Fontanon et Robert Frank. Chacun des huit points de vue retenus rend compte d’une facette du personnage ou d’une modalité de son intervention publique. On y perçoit un Painlevé mathématicien modernisateur et chercheur fécond ; dreyfusard de la deuxième heure, mais d’autant plus combatif dans la mobilisation de la preuve scientifique au service de la justice ; lobbyiste de l’aviation en ses âges héroïques et propagandiste actif de la mécanique appliquée ; leader politique, modérément homme de parti, mais efficace homme de réseaux ; intellectuel pacifiste chargé de la tâche de « penser la guerre » ; laïc, ligueur et « maçon sans tablier », pourtant médiocrement anticlérical ; progressiste convaincu de la mission civilisatrice de la France dans ses colonies et portant le flambeau des valeurs républicaines jusqu’en Chine. De ces coups de sonde, il ressort un portrait assez kaléidoscopique. Au moins cet exercice de recomposition d’un homme et d’un itinéraire ne cède-t-il pas à « l’illusion biographique », et participe-t-il à la réflexion plus suggestive sur les fondements, si caractéristiques de l’histoire intellectuelle de ce demi-siècle, du pacte noué entre les sciences et la politique. Un pacte dont les contractants tirèrent des sources de légitimité à ses deux pôles pour y défendre des valeurs, des actions et des positions d’autorité.


Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 25, 2007 : , p. 229-230.
Auteur(s) : RASMUSSEN (Anne)
Titre : Claudine Fontanon, Robert Frank (dir.), Paul Painlevé (1863-1933). Un savant en politique, : Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Carnot », 2005, 147 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article128