Revue d’histoire intellectuelle

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Jacques Arnould, Teilhard de Chardin

vendredi 25 septembre 2015

Lectures

Jacques Arnould, Teilhard de Chardin
Paris, Perrin, 2005, 390 p.

THIERS (Éric)

Cette vie du célèbre jésuite s’apparente plus à une introduction à l’œuvre de Teilhard de Chardin (1881-1955) qu’à une biographie classique. Avec un ton très personnel, celui parfois de la confidence, Jacques Arnould, lui-même scientifique et dominicain, nous expose le parcours atypique d’un religieux qui tenta toute sa vie de conjuguer sa foi avec son désir de connaissance. On suit les pérégrinations, à travers le monde et la vie, de ce pionnier qui demeura cependant soumis à son Église en dépit d’une censure qui ne cessera jamais de le frapper.
Issu d’une vieille famille auvergnate qui ne fut pas épargnée par les malheurs – il voit mourir plusieurs de ses frères et sœurs – Teilhard fit ses premiers pas chez les Jésuites au début du siècle dernier, à Jersey, refuge commode alors que la politique anticléricale d’Émile Combes s’applique dans toute sa rigueur en France. La passion pour la géologie, les fossiles, la fascination pour l’Orient, tout est déjà présent. Très vite le jeune religieux part vers des pays lointains, comme l’Égypte puis la Chine.
Pendant ces années de formation sur lesquelles Arnould ne s’étend pas, Teilhard observe aussi, sans y prendre part, la crise qui traverse l’Église autour de la question du modernisme. Teilhard est ordonné prêtre en 1911 quelques mois après la condamnation par Pie X du Sillon de Marc Sangnier, condamnation qui ne l’émeut guère comme le montre l’une de ses correspondances. C’est pourtant à cette époque qu’il commence, lui-même, à s’interroger sur la question de l’évolutionnisme et la possibilité de le penser conformément à sa foi et à celle de son Église. L’influence de Bergson et de son Évolution créatrice, publiée en 1907, apparaît, même si des divergences existent entre les deux pensées. Teilhard ne se reconnaît pas dans l’idée de Bergson selon laquelle le monde serait un jaillissement, alors que, pour lui, il s’agit plutôt d’un phénomène de concentration.
L’expérience du front est pour Teilhard déterminante. On ne s’en étonnera pas. Mobilisé en 1914 et maintenu sous les drapeaux jusqu’en mars 1919, Teilhard dont le comportement est exemplaire y subit le baptême du Réel. Cette expérience l’ouvre à des sentiments nouveaux : l’expérience de la finitude, la communion avec les autres hommes mais aussi avec Dieu à travers la Terre et la Matière. La Première Guerre mondiale marque le début de la production intellectuelle de Teilhard avec, en 1916, La messe sur le monde.
Après cette expérience fondatrice, on suit « le gentilhomme de Dieu » dans ces exils lointains qui lui permettent d’échapper au regard intransigeant d’une Église qui voit d’un mauvais œil ce prêtre adhérer et fonder théologiquement la théorie évolutionniste. Du désert de Gobi aux forêts birmanes, d’Afrique à New York en passant évidemment par la Chine, on accompagne Teilhard pour rencontrer au fil des pages Henri de Monfreid, Paul Claudel ou… le Sinanthrope. De ses voyages scientifiques, Pierre Teilhard de Chardin tire des réflexions, des ouvrages que l’Église lui interdit de publier. Il en diffuse cependant quelques exemplaires, sous le manteau aidés par des amis fidèles, hommes ou femmes. La pensée de Teilhard est, à l’origine, une pensée clandestine. Après la Seconde guerre mondiale, qu’il passe pour partie en Chine, Teilhard subit encore les foudres de Rome. L’Église s’oppose à sa candidature au Collège de France. En 1950, la lettre encyclique Humani generis de Pie XII constitue une sévère mise en garde contre les prétentions scientifiques.
Teilhard meurt en 1955, à New York, le jour de Pâques. Quelques mois plus tard sera publié le Phénomène humain. Il avait pris soin de confier à des amis laïcs la charge de s’occuper de son œuvre après sa mort pour échapper au contrôle de Rome.
L’ouvrage de Jacques Arnould n’échappe pas toujours à l’anecdote. On apprendra – avec quel profit ? – que la cantine qui accompagnait partout Teilhard de Chardin mesurait 90 cm sur 30. L’appareil critique est également peu volumineux. Plus gênante est cette tendance, trop courante chez les biographes, à chercher à comprendre, et partant – ne soyons pas dupes – à excuser certains traits peu agréables du personnage étudié. Pour preuve les pages 113 puis 278 et suivantes où Jacques Arnould tente de replacer dans son contexte la vision raciale et eugéniste de Teilhard sans réussir à nous convaincre. On aurait aimé aussi que soit abordé, dans un dernier chapitre, l’émergence du « phénomène Teilhard », c’est-à-dire le succès que connut son œuvre dans la décennie qui suivit sa mort alors même que l’Église, avec Vatican II, s’ouvrait elle aussi plus largement à la société.


Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 24, 2006 : , p. 215-217.
Auteur(s) : THIERS (Éric)
Titre : Jacques Arnould, Teilhard de Chardin : Paris, Perrin, 2005, 390 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article113