Revue d’histoire intellectuelle

Accueil > Sommaires > N° 23, 2005. "La guerre du droit" 1914-1918 > Alexis de Tocqueville, Lettres choisies. Souvenirs, Françoise Mélonio, (...)

Alexis de Tocqueville, Lettres choisies. Souvenirs, Françoise Mélonio, Laurence Guellec (eds.)

vendredi 25 septembre 2015

Lectures

Alexis de Tocqueville, Lettres choisies. Souvenirs, Françoise Mélonio, Laurence Guellec (eds.)
Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2003, 1420 p.

NETTER (Marie Laurence)

Le grand mérite de ce recueil de textes présenté par Françoise Mélonio et Laurence Guellec est de nous rendre très sensible le personnage singulier qu’était Alexis de Tocqueville, le penseur, l’homme politique et l’homme tout court. L’intérêt de la plupart des correspondances est bien de faire pénétrer le lecteur dans la genèse de la pensée de l’auteur, de suivre plus ou moins artificiellement le cheminement de cette pensée confrontée aux événements qui la suscitent et la façonnent. Ce qui est le cas ici mais le recueil tel qu’il a été constitué va bien au-delà en mettant l’accent sur ce qui, me semble-t-il, fait la singularité de Tocqueville en tant que penseur du politique, à savoir son extrême sensibilité aux événements servie par une certaine propension à l’introspection, elle-même soutenue par la mémoire d’un monde à jamais disparu. Si l’on ajoute une santé précaire et un style littéraire à la fois familier et distancié, le parallèle avec Proust n’est pas loin, la nostalgie en moins. La différence est de taille car si Tocqueville avait tout pour faire un conservateur, son indépendance à l’égard tant de son milieu que de la pensée ambiante, qui éclate ici à chaque page, en font un penseur et un homme politiques à la fois pragmatique et visionnaire. Ce volume est composé d’un choix de lettres qui couvrent l’intégralité de la vie de Tocqueville depuis l’enfance jusqu’à la veille de sa mort, et des Souvenirs qui sont, on le sait, ses mémoires d’homme politique. L’ensemble forme un tout particulièrement attrayant, agréable à lire et remarquable par sa composition qui donne au lecteur la possibilité de pénétrer, sans se perdre, dans les multiples facettes de la pensée de l’auteur et de suivre le cheminement de ses idées. Les lettres d’Amérique, par exemple, ouvrent la voie à l’examen original que fera Tocqueville de l’influence de la religion sur la société dans De la démocratie en Amérique et à l’analyse, déjà entamée avec ses lectures sur l’Angleterre, des équilibres nécessaires à l’élaboration d’une bonne constitution. Pour être viable sur le long terme, une constitution doit préserver les libertés individuelles tout en ayant suffisamment de pouvoirs établis pour que soit partout respectée la légalité. Ses lectures, ses enquêtes, son expérience en ont si bien convaincu Tocqueville qu’il peut écrire à Gustave de Beaumont en février 1852, à propos du régime issu du coup d’État, « il ne fondera rien, mais il durera », contre l’avis de ceux qui l’entourent. C’est cette lucidité, nourrie de chaque instant de son existence, que la cohésion de cet ensemble de lettres met particulièrement en relief, aidant ainsi le lecteur à mieux comprendre la dimension de la pensée de Tocqueville.


Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 23, 2005 : "La guerre du droit"
1914-1918, p. 213-214.
Auteur(s) : NETTER (Marie Laurence)
Titre : Alexis de Tocqueville, Lettres choisies. Souvenirs, Françoise Mélonio, Laurence Guellec (eds.) : Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2003, 1420 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article95