Revue d’histoire intellectuelle

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André Gorz et le syndicalisme révolutionnaire

vendredi 25 septembre 2015

GIANINAZZI (Willy)

Pionnier de l’écologie politique en France, au centre de plusieurs études dans le monde anglo-saxon, André Gorz (1923-2007) nous lègue une œuvre de longue haleine qui a pour constante de se nourrir des potentialités libératrices que recèle l’évolution capitaliste, en dépit de contre-tendances. C’est pourquoi il a toujours eu le souci – plus rare chez les marxistes qu’on ne le croit, mais partagé par l’autonomie ouvrière italienne, lectrice comme lui des Grundrisse – de mettre au clair la composition de classe correspondant à une phase donnée de la valorisation du capital afin de déduire la nature et les aspirations du sujet contestataire.

On ne s’étonnera donc pas qu’André Gorz a prêté une grande attention au phénomène historique du syndicalisme révolutionnaire qu’il voyait dans les années soixante comme l’anticipation de la nouvelle classe ouvrière porteuse de l’idéal autogestionnaire – à l’instar de Jacques Julliard qui traçait un parallèle avec les idées de Mai 68. Depuis, notre connaissance du syndicalisme révolutionnaire s’est approfondie car on sait maintenant que, mis à part l’idéal artisan de l’ouvrier polyfonctionnel – vanté par Georges Sorel –, ce mouvement était porteur des besoins d’une classe ouvrière jeune, peu qualifiée, se méfiant des médiations et pratiquant aussi bien la grève que le turn over.

Avec Jean-Marie Vincent, autre penseur écologiste post-marxiste, à la mémoire duquel il dédie l’un de ses textes ultimes (voir la toute nouvelle revue de la décroissance, Entropia, 2, 2007), André Gorz a fait de la liberté et de l’autonomie existentielle de l’individu, riche en liens sociaux, le pilier philosophique de sa critique de la domination marchande. Le premier s’inspirant de la théorie critique francfortienne, le second de l’existentialisme sartrien. Du syndicalisme révolutionnaire, Gorz a repris l’ambition de supprimer le salariat, soit le travail-emploi source du revenu, mais cette fois-ci non plus pour que les travailleurs gèrent en propre un système productiviste inchangé, devenu en un siècle hypertrophique et écologiquement dévastateur : il s’agit plutôt de ramener l’économie dans les limites éco-biologiques de la planète et de la rendre perméable aux logiques non marchandes de besoins maîtrisés, de travail contraint réduit, de production de biens immatériels gratuits et de redistribution de la richesse par un revenu citoyen garanti. Misères du présent, richesse du possible, titrait-il l’un de ses derniers livres.


Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 26, 2008 : Puissance et impuissance de la critique, p. 192.
Auteur(s) : GIANINAZZI (Willy)
Titre : André Gorz et le syndicalisme révolutionnaire
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article151